art brut 15X21cm Dessin sur photographie expressionnisme art singulier Merrheim

Objet vendu

Fin de la vente : 02/11/2023
Authenticité : Original
Caractéristiques : Signé
Genre : Expressionnisme
Matériau : Encre
Thème : Personnage
Type : Dessin

signée , encre sur tirage photo numérique, 15X21CM
"L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom: ce qu’il aime c’est l’incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle."
Jean Dubuffet
Vouloir ramener la production et la pratique de Morgane Merrheim à la sphère de l’art brut serait injustement réducteur. Même s’il adhère, explicitement ou implicitement, à certains de ses principes fondateurs, tels que Dubuffet les a formalisés, notre artiste est trop curieux et imprégné de l’Histoire de l’art pour être assimilable à ces personnes exemptes de culture artistique qui constituent le noyau dur des art-brutistes. Il a, de toute évidence, étudié, chez les maîtres anciens, les techniques des glacis, de la perspective et de la transparence, les méthodes pour suggérer la profondeur et l’étagement des plans, regardé les travaux de Basquiat et de Miró et doit avouer une dette envers les peintres de CoBrA...Tout en accommodant ces connaissances et expériences à un air du temps imprégné de squats, de lieux et circuits alternatifs, de pratiques collectives et de recherche d’une liberté plastique mise à rude épreuve par une bien-pensance plastique omniprésente oppressive. Dans ses travaux, il procède par accumulation, par stratification de plusieurs couches picturales, souvent sur un support lui-même pré-imprimé, notamment des planches de hentai. Il s’assure, cependant, que chacune des couches successives reste apparente, lisible, pour inciter ses regardeurs, dans un processus en sens inverse du sien, à les déchiffrer, à y pénétrer. Cette démarche de découverte de la strate fondamentale, la première, fait inévitablement penser à ce que Cesare Pavese écrivait: «La vie n’est pas recherche d’expériences mais de soi-même. Une fois qu’on a découvert sa strate fondamentale, on s’aperçoit qu’elle correspond à son propre destin et on trouve la paix.»
Pour autant, si la première couche, celle du fond, est bien sou-vent identifiable, sans doute possible, les autres prêtent à des lectures qui ne sont pas immuables. On peut ainsi faire un parallèle avec le propos de Proust: «Notre moi est fait de la superposition de nos états successifs. Mais cette superposition n’est pas immuable comme la stratification d’une montagne. Perpétuellement des soulèvements font affleurer à la surface des couches anciennes.» Au terme de cet exercice d’introspection, au sens étymologique du mot regarder dans, à l’intérieur de, appliquée, que trouve-t-on? Le plus souvent un substrat à caractère érotique ou sexuel, mais rarement franchement pornographique. Au fond de cette plongée mentale, est-ce le moi du regardeur ou celui de l’artiste que l’on découvre? L’un? L’autre? Les deux? Narcissisme et/ou sexualité? Dans tous les cas, la leçon de Freud est bien présente: «La psychanalyse n’a jamais oublié qu’il existe du non-sexuel. Elle a même élevé tout son édifice sur le principe de séparation entre deux tendances: pulsions sexuelles et pulsions narcissiques qui se rapportent au moi.»
L’artiste explique la pratique de stratification dans ses œuvres par son habitude de changer de lieu de travail et d’en découvrir de nouveaux, chargés des traces laissées par leurs occupants précédents. Il reconnaît aussi sa dette envers les tags muraux et le street-art. À sa façon, il produirait des sortes de palimpsestes en exploitant des matériaux préexistant qu’il s’approprierait, pour les recouvrir, tout enlaissant apparentes certaines de leurs caractéristiques.Dans certains de ses travaux, sa démarche semble apparemment différente, voire opposée... Sur des tirages photographiques,du format de cartes postales, résultant de montages, d’assemblages, de collages et de superpositions d’images numériques, il gratte, avec une pointe acérée, la surface sensibilisée puis révélée pour y graver les traits des dessins. Il semble ainsi se substituer au spectateur dans l’exercice de pénétration de la complexité des strates successives. Il n’en est rien, cependant, puisque le trait reste désespérément blanc et ne met en évidence rien de ce qui constitue la complexité de ce fond qui se trouve désormais au premier plan. Et reste toujours à déchiffrer...Une autre des caractéristiques essentielles des productions de Morgan Merrheim est la rapidité d’exécution. C’est la raison pour laquelle ses œuvres ne sont que rarement de grand format, ce qui requerrait un temps d’exécution trop long pour lui.Il considère ce besoin de vitesse comme une forme d’addiction, une urgence pour lutter contre l’atrophie du cerveau, par peur bleue de l’ennui...Il préfère une forme de précarité et un nomadisme intellectuel aux certitudes d’une stabilité bien assise dans la routine et la répétition. Il passe donc sans cesse d’une technique à l’autre, varie les supports, expérimente et teste de nouvelles idées, invente des recettes... Il n’hésite pas à déclarer: «Qu’aucuns matins la dimension ne soit la même, qu’elle n’apporte ni les réconforts de la veille, ni déjà l’envie de demain.5»Ce qui marque aussi, dans les dessins de Morgan Merrheim, c’est la présence quasi systématique de personnages dont la morphologie reste toujours la même quelles que soient les circonstances de leurs apparitions. Ils sont, seuls ou en tribus, semblables à ceux des productions plastiques enfantines, faisant face au spectateur car, comme le souligne Marcel Bergeron, dans les dessins d’enfants: «Le bonhomme têtard est dessiné de face, tandis que les animaux sont d’emblée dessinés de profil.» À y regarder de plus près, ces êtres ne sont pourtant pas des bonshommes-têtards, ils sont plus complexes et pourraient correspondre à un stade plus avancé de l’évolution du dessin enfantin. Henri Wallon et Liliane Lurçat la décrivent: «À ce stade têtard succèdent d’une façon précoce des bonshommes où la masse du corps est indiquée par un ovoïde auquel se superpose un autre ovoïde plus petit répondant à la tête. Quelquefois les deux ovoïdes sont simplement séparés par un étranglement. Le type de l’ovoïde va évoluer et prendre une signification diverse à mesure que l’enfant s’apercevra de la structure plus complexe et segmentaire du corps. C’est d’abord un simple point d’appui pour les membres, bras et jambes qui s’y insèrent de façon radiée comme les épingles dans une pelote ; c’est un simple schématisme en quelque sorte énumératif il y a le ventre ici, les bras et les jambes là. Puis les jambes et les bras se différencient; leur point d’insertion reste toujours extrêmement capricieux ; ou plutôt, il répond fréquemment à des convenances de géométrisme élémentaire, s’insérant très souvent au milieu de l’ovoïde qui représente le corps, c’est-à-dire beaucoup trop bas. Leur insertion commence d’ailleurs par être très asymétrique, puis au contraire répond à des conditions de symétrie indépendantes de leur position réelle dans le modèle humain. C’est donc autour de l’ovoïde que se groupent les détails du personnage. Mais l’ovoïde tend, petit à petit à se rapprocher du modèle ; il s’agrémente lui-même de détails tels que les boutons d’un vêtement et c’est cette accommodation à l’image du personnage représenté qui va le faire évoluer vers d’autres formes.»Les bonshommes de Morgane Merrheim sont bien constitués d’assemblages d’ovoïdes mais ne répondent à aucune des phases ici décrites ou, plutôt, empruntent à plusieurs d’entre elles. Ils donnent l’illusion de l’enfantillage mais sont, en fait, beaucoup plus savants et profonds. Ils sont expressifs, souvent tristes ou blasés, sentiments que l’on ne trouve pas dans l’univers des dessins enfantins. Leur maladresse et leur gaucherie sont plus inhérentes à leur personnalité qu’au geste qui les a créés. Elle leur est intrinsèque... Signe d’une inadaptation résignée à un monde qu’ils ne comprennent pas et/ou qui ne veut pas les comprendre? Leur macrocéphalie nous les rend sympathiques mais marque leur appartenance à un monde autre que le nôtre. Celui des extraterrestres, des poupées ou des figures de mangas? Au regardeur de décider...Ils flottent devant le fond, indifférents à ce qui se passe derrière eux, dans une fluidité qui évoque celle des poissons devant le décor artificiel d’un aquarium factice. Certains sont sexués, d’autres pas. Ils affectent parfois la forme de spermatozoïdes. Parfois, ils sont tellement désarticulés qu’ils se muent en idéogrammes d’une langue improbable d’où n’émergent que le contour d’une tête et la marque d’yeux hagards. Toute une humanité à découvrir, qui partage certaines de nos contraintes mais, le plus souvent, s’en affranchit ou tente de le faire... pour en créer de nouvelles, dans une géométrie qui n’a plus rien d’euclidien...On va donc de surprise en surprise, de découverte en découverte... Sans pouvoir, pour autant, articuler des règles ou des principes pour qualifier ou décrire cet univers... Peut-être peut-on dire de l’art de Morgane Merrheim ce que Jean Dubuffet disait du vrai art: «Le vrai art, il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom.»
Louis Doucet, décembre 2022